Récemment, une enquête d’Anne-Cécile Huwart a fait état des dysfonctionnements que l’on pouvait constater dans certains services de l’aide à la jeunesse ou de protection de la jeunesse. Cette enquête a donné lieu à un livre et à un reportage qui a été diffusé dans le cadre du Magazine #Investigation sur la Une RTBF.  Ce reportage posait des questions importantes quant à la qualité du travail mené et revenait sur des problèmes qui avaient déjà été soulevés dans d’autres articles de presse.

Par ailleurs, en juin 2023, les services de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse ont mené un mouvement de grève important : les travailleurs et travailleuses estimaient que leurs  conditions de travail liées à un manque de moyen humain et financier avaient pour conséquence qu’ils ne jouissaient pas des conditions nécessaires pour mener à bien leur mission de protection des mineurs en danger. 

Je pense qu’il est intéressant de faire le lien entre les points soulevés par l’enquête menée par les journalistes de la RTBF et les difficultés rencontrées au quotidien par les travailleurs et travailleuses des services d’aide à la jeunesse. En effet, il est avéré que le manque de moyens humains au sein des services des différents arrondissements a pour conséquence une surcharge de travail importante. Les agent·e·s doivent gérer plus de dossiers, ce qui les amène à être confrontés à davantage de situations souvent très complexes et douloureuses. Ne pas pouvoir correctement aux appels au secours de certains enfants peut entraîner à une certaine frustration, voire sur le long terme à une réelle souffrance qu’on ne peut négliger

Ces deux phénomènes combinés peuvent conduire les accompagnant·e·s à de l’usure émotionnelle, ou ce que les professionnels appellent du stress vicariant.

Le stress vicariant est un concept proposé par deux psychologues, Laurie Anne Pearlman et Karen Satvine, dans les années 1990. Il évoque un processus de modification profonde de l’identité-même des intervenant·es psychosociaux·ales qui sont en contact régulier avec des personnes psychotraumatisées. Témoin du traumatisme de ses bénéficiaires, l’intervenant·e qui souffre du stress vicariant peut voir se modifier son identité, sa vision du monde, ses ressources, son estime de soi (1). Il y a alors danger que les récits entendus par ces accompagnant·s les affectent dans de nombreuses dimensions de leur vie,  et notamment au travail, dans la relation avec leurs collègues mais aussi envers les personnes qu’ils ou elles sont censées accompagner et aider. L’usure émotionnelle est parfois telle que l’on peut déshumaniser la personne qui est en face de soi, devenir moins réceptif à sa douleur voire avoir une vision déformée de certaines situations, pour éviter de se confronter à une douleur trop grande.

On pointe des facteurs de risque parmi lesquels un manque de temps de récupération ou encore peu ou pas de temps de réflexion institutionnelle, c’est-à-dire la mise en place pour les travailleurs et travailleuses d’une supervision et d’analyse des pratiques qui permettent de déposer ce qui doit l’être.

La possibilité de stress vicariant sévissant au sein de ces travailleurs et travailleuses est une piste intéressante pour expliquer les dysfonctionnements qui ont pu être relevés. Cela pourrait être déterminé si une évaluation était organisée au sein des SAJ et du SPJ.

Par ailleurs, les agents et agentes des SAP et SPJ elles-mêmes souhaiteraient une supervision qui reste encore très rare soit parce qu’ielles manquent de temps – si la supervision existe dans le service  – ou parce qu’il n’y a pas de supervision prévue du tout.

Madame la Ministre, voici mes questions :

  • Le concept de stress vicariant est-il utilisé au sein de l’AGAJ et des insitutions qui en dépendent ? Dans l’affirmative, dans quel contexte et de quelle manière ?
  • Des difficultés liées au stress vicariant sont-elles rencontrées au sein des SAJ et SPJ ? Que pouvez-vous nous en dire ? 
  • Existe-t-il une évaluation de la santé mentale des travailleurs et travailleuses des SAJ et SPJ, potentielles victimes d’une usure émotionnelle ? Si oui, quels sont les résultats ? Si non, pour quelles raisons ?
  • Existe-t-il des supervisions et des séances d’analyse auquel les  travailleurs et travailleuses peuvent/doivent participer au sein des SAJ et SPJ ? Dans l’affirmative, que pouvez-vous nous en dire ? Si non, pourquoi et de tels dispositifs sont-ils à l’étude ?

 

Retrouvez mon intervention ainsi que la réponse de la ministre sur le site du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.